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Gucci, le renouveau

En partie grâce à une stratégie digitale musclée et depuis la nomination, en 2015, de l’atypique Alessandro Michele comme directeur artistique, la maison italienne opère sa renaissance. Décryptage d’un storytelling de luxe à succès.

Le premier défilé d’Alessandro Michele à la tête de Gucci relevait d’un immense défi. Après la perte de vitesse de la griffe florentine en 2014, le vaisseau Kering tente un pari : changer la direction artistique en misant sur un inconnu, mais fin connaisseur de la maison, fondée en 1921. Alessandro Michele travaille alors au sein de Gucci depuis près de treize ans et pilote les lignes accessoires. Le natif de Rome au look de prophète hippie réalise la collection du défilé homme automne-hiver 2015-2016 en seulement cinq jours. Un miracle dont les espoirs de succès se réalisent amplement : ses silhouettes androgynes épousent l’époque en même temps qu’elles la bousculent, vêtues de costumes baroques, de mocassins à mors en fourrure ou de tops romantiques, brassant l’image de l’intello arty et celle des bohèmes excentriques. Les collections, toutes plus extravagantes et foisonnantes les unes que les autres, s’enchaînent, empruntant au rétro des inspirantes seventies, à la Chine orientale ou à la très artistique Renaissance florentine. Car c’est cela la clé du succès : puiser dans l’essence même de la maison de mode tout en y insufflant un grand vent de renouveau.


Be Gucci, be yourself
Anticipant le futur également, comme avec ces cyborgs Gucci post-humains portant leur seconde tête à pleines mains pour le défilé automne-hiver 2018-2019 ou cette campagne automne-hiver 2017 #Gucciandbeyond pour laquelle des mannequins-aliens prennent d’assaut l’Instagram de la marque. La silhouette Gucci ?  celle de l’acteur Jared Leto, double-mode spirituel de Michele et égérie du parfum Gucci Guilty. Une silhouette androgyne qui s’amuse d’une mode unisexe brouillant parfois les pistes entre les genres. Un total look Gucci ? Sans hésiter, en combinant les pièces de différentes saisons, rehaussées de créations signature : la ceinture à double G, la bande Web vert-rouge-vert, les mules à mors Princeton et les motifs bestiaires à gogo. L’idée ? Exprimer sa propre personnalité, définir une beauté non normée, et défendre la fluidité des genres. Ainsi, lorsque Alessandro Michele décide pour la fashion week milanaise de 2017 d’organiser un défilé mixte, ou de caster uniquement des mannequins noirs pour sa collection pre-fall de la même année. Idem lorsqu’il choisit Hari Nef, célèbre mannequin militante de la cause transgenre, comme égérie des parfums de la maison, aux côtés de Petra Collins, jeune photographe et icône féministe. Car le credo de Michele n’est-il pas d’être tout simplement soi ? « Si la marque a tant de succès, c’est précisément parce qu’ils m’ont autorisé à être vraiment moi », expliquait-il, tel un oracle, à Numéro, en avril dernier. Qui a dit que la mode était superficielle ?


L’évangile d’un gourou mode
Plus en vogue que jamais, Gucci la florissante – devenue désormais la deuxième plus grande marque de luxe au monde – voit s’amasser les fidèles énamourés à travers le monde entier. L’univers flamboyant, éclectique et inclusif du créateur est la bonne parole que le monde des millennials – et les autres aussi – attendait. Ultra-connectée, ultra-informée et qui s’engage pour la diversité, la génération Y vibre au collectif et cherche inlassablement du sens. Sincère et habité par une foi créative, le créateur « bijouté » tel un chaman parle aux âmes et métamorphose Gucci en élément incontournable de la pop culture. Ce fana de Renaissance italienne bien dans son époque joue avec les références culturelles aussi bien qu’avec les réseaux sociaux façonnant une Gucci mythique et démythifiée à la fois  : l’extatique Ophelia shakespearienne de Sir John Everett Millais se voit parée d’une robe Gucci dorée pour la campagne publicitaire printemps-été 2018 « Fantaisie utopique », quand les montres du « marché des Merveilles » entrent dans la danse des ironiques « mèmes » Internet pour #TFWGucci (« That Feeling When Gucci »). Une façon habile de casser les codes d’un luxe figé dans son inaccessibilité et de s’attirer les faveurs d’un public initié. L’opulente Gucci se pare d’un nouvel âge d’or.